Armin Prinz, ancien chef du département d’ethnomédecine de l’Université de médecine de Vienne, est décédé subitement le 25 août 2018. Il a été le premier professeur d’anthropologie médicale d’Autriche.
Armin est né le 29 juillet 1945 à Öblarn, un village de montagne situé dans les Alpes orientales, dans l’État fédéral de Styrie, en Autriche. Il a obtenu son doctorat d’ethnologie en 1976 et de médecine en 1981, tous deux à Vienne, et a reçu le titre de venia docendi 1989 avec sa thèse d’habilitation « Enquêtes ethnomédicales, ethnopharmacologiques et anthropologiques médicales chez les Zandé d’Afrique centrale » de la Faculté de médecine de Vienne.
Médecin d’urgence à l’aéroport de Vienne et chef de département à la MedUni Vienna, il incarnait l’interdépendance de la médecine et de l’ethnologie et «vivait» son interdisciplinarité. Il disait souvent : «Pour les médecins, je suis un ethnologue et pour les ethnologues, je suis un médecin». Il se voyait comme les deux et était amusé quand les gens voulaient le contraindre à une discipline ou à une autre.
La vie d’Armin n’a pas été rectiligne. Adolescent, il a quitté l’école et a décidé de prendre la mer. Il a obtenu son diplôme de l’école de marine à Brême en Allemagne, puis a travaillé pendant quelques années pour les grandes compagnies de navigation allemandes, mais le paludisme l’a contraint à quitter son emploi. À l’âge de vingt-quatre ans, il termine ses études secondaires en candidat libre, puis commence ses études d’ethnologie et de médecine.
Ses recherches s’appuient sur de nombreuses années de travail de terrain parmi les Zande dans le nord-est de la République démocratique du Congo dans les années 1970 et 1980, dans des conditions que les étudiants d’aujourd’hui ne seraient pas en mesure de supporter. Il était toujours accompagné de son appareil photo Mamiya et a utilisé ses excellentes photographies dans plusieurs de ses publications et a été l’un des premiers à introduire l’audiovisuel dans l’anthropologie médicale. À partir des années 1990, alors que la situation politique en RDC se détériore, il se concentre sur le Sénégal mais retourne à plusieurs reprises chez les Zande et au Congo. Il s’est impliqué auprès de peintres populaires à Kinshasa et a organisé des expositions d’art annuelles. Lors de son dernier retour en 2012, il a aidé l’OMS à lutter contre l’épidémie d’Ebola à Isiro grâce à son expertise ethnomédicale de la région.
Il a commencé à enseigner en 1981 et ses conférences étaient légendaires. La plupart des étudiants étaient conquis par sa grande expertise, son esprit et son enthousiasme pour l’Afrique. Il a publié des ouvrages sur l’ethnomédecine, l’anthropologie nutritionnelle, l’ethnopharmacologie et l’histoire de la médecine. Il a encadré de nombreux étudiants, qu’il a également souvent inclus dans ses recherches au Congo et au Sénégal. Il a créé sa propre bibliothèque et a fondé la Collection Ethnomedicine, qui se trouve maintenant au Weltmuseum de Vienne avec des objets ethnographiques et des peintures contemporaines d’artistes africains. Une partie de la collection est actuellement exposée au Kunsthaus Graz lors de l’exposition «Congo stars», de septembre 2018 à janvier 2019.
En 1998, avec sa collègue Ruth Kutalek, il a fondé le Viennese Ethnomedicine Newsletter (VEN), financé par l’aéroport international de Vienne qui contenait une grande variété de contributions liées à l’anthropologie médicale (articles, rapports de terrain, entretiens et travaux d’étudiants) et établissait une communication avec d’autres centres d’anthropologie médicale en Europe et ailleurs. La lettre d’information portait une attention particulière à l’art africain lié à la santé et à la maladie et à l’anthropologie médicale et visuelle. Elle a cessé de paraître en 2011 avec la retraite d’Armin et la fin du financement.
Armin Prinz était un véritable universaliste et un fervent travailleur sur le terrain. Dans les années 1970, il produit plusieurs films documentaires sur le traitement traditionnel de divers problèmes de santé et sur l’utilisation des termites et des oracles empoisonnés chez les Zande. Il était très intéressé par l’ethnopharmacologie et a publié de nombreux ouvrages sur les plantes médicinales et toxiques ainsi que sur les plantes destinées à l’alimentation en Afrique centrale. Il a également répertorié les filières historiques de plantes redécouvertes par la pharmacologie occidentale, telles que Rauvolfia spp. et Cinchona spp. Il a toujours essayé de rapprocher les sciences en expliquant l’ethnomédecine et l’anthropologie médicale aux médecins et, inversement, en introduisant des questions biomédicales aux sciences sociales. Dans le domaine classique de l’ethnomédecine, il a publié ses recherches ethnographiques sur le rôle du guérisseur dans la société zandé, sur des idiomes spécifiques de détresse (comme «kaza basolo»), sur la mort ainsi que sur les perceptions de l’alimentation et du régime alimentaire. Il considérait l’ethnomédecine comme une contribution importante aux sciences médicales mais l’a définie comme une science sociale et déconseillait de l’utiliser comme science auxiliaire de la médecine.
Armin était un scientifique passionné, un mentor, un médecin et un anthropologue, et un visionnaire pour de nombreux problèmes, tels que la compétence interculturelle et la santé mondiale. Il manque déjà beaucoup à ses collègues, ses anciens étudiants et sa famille.
En 1990, la SFE organisa le 1er Congrès Européen d’Ethnopharmacologie à Metz et à cette occasion, nous avons élargi notre groupe de travail aux collègues européens avec Armin pour l’Autriche, Ekkehard Schröder (Allemagne), Antonio Guerci (Italie), Peter Babulka (Hongrie) et créé la Société Européenne d’Ethnopharmacologie.
Ruth Kutalek
Une sélection de ses publications
(1976) Das Ernährungswesen der Azande Nordost-Zaires: Ein Beitrag zum Problem des Bevölkerungsrückganges auf der Nil-Kongo Wasserscheide, PhD diss., Vienna.
(1984) Die Ethnomedizin: Definition und Abgrenzung eines interdisziplinären Konzeptes, Mitt.Anthropol.Ges.Wien, 114: 37-50.
(1986) Initialerlebnis und Heilberufung, Curare, Sonderband 5: 373-386.
(1986) Der Maniok in Afrika: Geschichte, Toxikologie, Ethnographie (with E. Schmutzhard), Mitt. Anthrop. Ges. Wien, Band 116: 71-87.
(1987) Neue Ergebnisse zur antimikrobiellen Wirksamkeit traditioneller Heilpflanzen in Zentralafrika (with G. Wewalka, G. Stanek, G. Kraus), Mitt. Österr. Ges. Tropenmed. Parasitol., 9: 45-49.
(1987) Lyme-Borreliosis in Central Africa (with G. Stanek, G. Wewalka, K. Ilunga), Zusammenfassung im Tagungsband: Lyme-Borreliosis update Europe, Baden.
(1989) Pulvis Jesuiticus – die Geschichte des Chinin, Mitt. Österr. Ges. Tropenmed. Parasitol., 11: 257-269.
(1990) Zur Entdeckung der Herzwirksamkeit der Chinarinde und ihrer Alkaloide, Wien. klin. Wschr., 102: 721-723.
(1991) Ethnomedizin-Geschichte der Medizin. Wissenschaften vom heilkundlichen Denken und Handeln des Menschen, Wien. klin. Wschr., 103: 481-483.
(1991) Misunderstanding between ethnologists, pharmacologists and physicians in the field of ethnopharmacology, In: Fleurentin J. et al., Ethnopharmacologie. Sources, méthodes, objectifs, Actes du Premier Colloque Européen d’Ethnopharmacologie, SFE – Orstom, Metz – Paris, 95-99.
(1992) Willem Piso (1611-1678): Begründer der wissenschaftlichen Tropenmedizin, Mitt. Österr. Ges. Tropenmed. Parasitol., 14: 1-12.
(1993) Cultural Factors in Food Choices – Background (with I. Garin & S. Hugh-Jones) In: Tropical Forests, People and Food. Man and the Biosphere Series, edited by C. M. Hladik, A. Hladik, O. F. Linares, H. Pagezy, A. Semple, M. Hadley, 525-532. The Parthenon Publishing Group, Volume 13.
(1993) Von der Schlangenwurz zum modernen Pharmakon. Wege und Irrwege der Rauwolfia, Curare, 16: 223-236.
(1995) Obesity and Fatness as Seen by the Azande in Central Africa, In Social Aspects of Obesity, edited by I. de Garine and N.J. Pollock, 267-280. Series: Culture and Ecology of Food and Nutrition. Amsterdam: Gordon and Breach.
(2001) Kaza basolo? A Culture-Bound Syndrome among the Azande of Northeast-Congo, Viennese Ethnomedicine Newsletter, 4 (1): 12-13.
(2005) African Medicinal Plants (with Ruth Kutalek), In Handbook of Medicinal Plants, edited by Zohara Yaniv and Uriel Bachrachm, 97-124. Binghamton, NY: Food Products Press, The Haworth Medical Press.
(2010) Geophagy and Possible Health Implications: Microbes, Geohelminths, and Heavy Metals (with R. Kutalek, G. Wewalka, C. Gundacker, H. Auer, J. Wilson, D. Haluza, S. Huhulescu, S. Hillier, M. Sager), Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 104: 787-795.
(2012) What about Ethnomedizin? Reflections on Its Early Days in German-speaking Countries 47 (with R. Kutalek and V. C. Münzenmeier), Anthropology and Medicine, 19 (1): 39-47.
(2017) Geophagy during Pregnancy: Is There a Health Risk for Infants? (with C. Gundacker, R. Kutalek, R. Glaunach, C. Deweis, M. Hengstschläger), Environmental Research, 156: 145-147.