Le Maghreb à travers ses plantes. Plantes, productions végétales et traditions au Maghreb

  • 1 Volumes
  • Auteurs : Jamal Bellakhdar
  • Edition : Casablanca, Editions Le Fennec
  • Langues : Français

Description :

Après nous avoir donné un magnifique ouvrage sur l’artisanat (en vente sur ce site également), Jamal Bellakhdar complète ses travaux très savants sur les plantes et les minéraux médicinaux du Maroc en livrant un ouvrage destiné à un public beaucoup plus large. Celui-ci ne concerne que les plantes. Mais le champ d’observation, qui était passé du Sahara au Maroc, englobe désormais tout le Maghreb.

Le livre commence par la description des différents milieux climatiques de cette région du monde. Ceci permet de décrire les étages de végétation ou les formes de la biodiversité (forêts, brousses, matorrals, steppes, pelouses et écosystèmes sahariens) avec les plantes caractéristiques de chacun de ces milieux. Puis l’auteur décrit les espèces locales emblématiques dont la présence est attestée depuis des temps très reculés au Maghreb, qu’il s’agisse des essences forestières, des arbrisseaux, des plantes herbacées de la flore sauvage, des espèces fruitières arbustives, ou des plantes aromatiques, condimentaires ou vivrières cultivées et transformées par l’homme. Les plantes exotiques ou introduites au Maghreb, au cours de l’histoire ou récemment, sont mises dans cet ensemble (alors qu’on aurait pu les classer par siècle d’importation). Les plantes industrielles ou tinctoriales sont aussi signalées pour les principales d’entre elles.

Chaque plante fait l’objet d’une fiche qui décrit les principales espèces et donne quelques informations tout à fait passionnantes pour l’historien ou l’anthropologue sur les usages ou les aspects symboliques de ces plantes dans les cultures du Maghreb. Ceci permet de rectifier une foule d’idées fausses et d’apprendre de multiples petits détails, parfois inattendus, sur ces végétaux.

L’objectif poursuivi par Jamal Bellakhdar demeure le même que dans ses livres précédents, créer une prise de conscience chez ses lecteurs maghrébins. On est en présence de ressources, qui sont à la fois des matières premières et des usages, d’origine plus ou moins empirique, développés par des générations d’êtres humains. « Une accession sereine à la modernité ne se fait pas dans la rupture avec le passé, mais, au contraire, dans un processus évolutif qui intègre le progrès sans violence et sans lui sacrifier l’identité culturelle ». Il n’est plus question de plantes, mais d’une position philosophique sur « l’identité » des hommes qu’une description des plantes et de leurs principaux usages doit contribuer à illustrer. Les convictions de Jamal Bellakhdar se fondent sur le fait, qu’à côté des savoirs en phytologie acquis des sciences expérimentales européennes des deux derniers siècles, il existe chez tout Maghrébin « quelques vieilles réminiscences enfouies dans sa mémoire, du temps de sa jeunesse, et qu’il croyait avoir définitivement perdues ». Le livre est là pour faire tout « remonter à la mémoire » dans une anamnèse collective. Le Maghrébin devrait ainsi entreprendre une socianalyse collective, équivalent de la psychanalyse individuelle. « Peut-être alors comprendra-t-il que son identité profonde se trouve là, justement, dans sa capacité émotionnelle à réagir inopinément, plus vite et plus spontanément que la pensée, à la court-circuiter parfois ».

Ces thèses sont de nature essentiellement politiques et non scientifiques. Elles supposent, en effet, l’existence d’une identité maghrébine curieusement définie comme « émotionnelle ». Elles supposent ensuite qu’on peut faire cohabiter, sans conflits internes, une science d’origine expérimentale et mutuellement contrôlée avec des savoirs empiriques aux légitimités très souvent douteuses, bien qu’ils puissent aussi être porteurs de vérités. Ces savoirs-faire ne sont pas des pratiques qu’il faut faire remonter à la mémoire. Ce sont aussi des activités présentes, au moins dans certains groupes, qu’il faut analyser comme telles afin d’en comprendre le fonctionnement symbolique. Un regard autre que nostalgique est parfaitement possible. Car il faudra nécessairement faire le tri dans ces savoirs anciens et ainsi créer deux groupes de savoirs, les savoirs efficaces (dans ou hors de cadres symboliques déterminés) et les savoirs irrationnels dépourvus d’intérêt autres que ceux de l’étude des imaginaires. Le regard historique est certes nécessaire, mais à condition qu’il soit le prélude à des sacrifices drastiques. L’identité n’est pas dans le passé, mais uniquement dans l’avenir. Elle est à construire et cela ne pourra se faire qu’en faisant sortir de l’histoire des techniques et donc basculer dans la seule histoire des mentalités la plupart des prétendus savoirs-faire anciens.

Cela amène à discuter une deuxième thèse présente dans ce livre. « Certains usages traditionnels présents dans ce livre sont la propriété collective et inaliénable des populations de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie ». Encore faudrait-il pouvoir prouver que ce sont bien ces « populations » qui ont inventé ces usages. Or cela est radicalement indémontrable. Très souvent, pour le choix de leurs plantes médicinales, les hommes ont observé les animaux. Comment l’humanité pourrait-elle payer sa dette aux différentes espèces animales ? Ce n’est que si une réponse claire est donnée à cette question qu’on pourra aborder le problème des prétendues « dettes » des hommes les uns envers les autres.

Cela dit, il faut bien distinguer les motivations, qu’elles soient politiques ou mêmes psychanalytiques, d’une œuvre et sa réalisation. On peut faire semblant d’oublier la fin poursuivie et ne considérer que les moyens mis en œuvre, ici la description et l’étude des plantes. Mais dans ce cas, ce livre, qui propose l’avènement d’un homme duel au Maghreb, ayant intégré à sa « modernité » des « traditions » liées aux plantes, oblige le lecteur occidental à devenir lui-même duel en l’obligeant à sacrifier son regard critique sur un projet politique. Le degré d’interconnaissance entre Français et marocains est aujourd’hui devenu tel que nos dialogues peuvent ne plus être de l’ordre du semblant ou de la superficialité. Il existe même de profondes amitiés qui rendent justement possibles les remarques ici formulées qui n’apparaîtraient pas dans des compte-rendus marocains de cet ouvrage (qui se limiteront nécessairement à des détails de l’histoire des plantes, ce qui a aussi son utilité). On voit ici clairement l’avantage de l’interculturalité qui est celui de poser la question des fondements de la culturalité, ce qui peut se faire dans les deux sens.

Jean-François Clément

Jamal Bellakhdar, pharmacien et docteur en sciences de la vie est actuellement chercheur en ethnobotanique et ethnopharmacologie à Metz (France).

Auteurs de plusieurs et articles sur les pharmacopées au Maghreb, les ressources végétales, les traditions populaires. Il est Lauréat du Prix du Maroc en 1979 et 1997.

Casablanca, Editions Le Fennec, 2003
198 p. ISBN : 9954-415-20-3

Sommaire

Avant-propos
Le Maghreb : trois pays au carrefour des civilisations
Géographie des régions et des milieux
Végétation et biodiversité. Une terre et ses ressources naturelles
Les forêts
Les matorrals
Les steppes
Les pelouses
Les écosystèmes sahariens
Ethnobotanique, histoire et société : les espèces emblématiques de la tradition locale

Essences forestières
Arbrisseaux et plantes herbacées de la flore sauvage
Espèces fruitières arbustives cultivées
Plantes vivrières non arbustives
Plantes aromatiques et condimentaires
Cultures industrielles et plantes techniques

Conclusion
Bibliographie
Illustrations