L’anakinra, un traitement prometteur pour les cas graves de Covid-19

Par Tristan Vey, le 02/06/2020 
Site du Figaro, rubrique Sciences

 

Après tant d’autres résultats fragiles avec des molécules repositionnées sans grand résultat contre le Covid-19, l’anakinra pourrait-elle changer la donne ? Administré entre le 24 mars et le 6 avril à l’hôpital Saint-Joseph (Paris) à une cinquantaine de patients souffrant d’une forme grave de Covid-19, ce traitement immuno-modulateur (commercialisé sous le nom de Kineret par le laboratoire suédois Sobi – Swedish Orphan Biovitrum) a donné des résultats préliminaires intéressants.

Les trois quarts des personnes qui ont reçu les injections sous-cutanées quotidiennes pendant 10 jours ont évité la mort ou un passage en réanimation, contre un quart d’un groupe témoin constitué de 44 patients traités plus tôt dans le même hôpital. Ces chiffres ont été publiés dans The Lancet Rheumatology, revue qui avait publié un peu plus tôt, début mai, une petite étude italienne portant sur 29 patients allant peu ou prou dans le même sens. Deux autres très courtes séries de quelques patients invitaient elles aussi depuis peu à suivre cette piste. «Sur neuf patients traités à l’anakinra chez nous (résultats publiés dans Annals of the Rheumatic Diseases, NDLR) un seul est allé en réanimation, ce qui était encourageant», assure le Pr Achille Aouba, chef du service de médecine interne au CHU de Caen.

«En l’absence d’accès à des essais thérapeutiques incluant des médicaments immunomodulateurs pour nos patients, la décision (…) prise de proposer l’anakinra, selon des critères de gravité décidés de manière consensuelle et a priori, a rapidement changé le visage de la maladie en salle», a expliqué à l’AFP le Pr Jean-Jacques Mourad, cosignataire de l’étude parue dans Lancet Rheumatology, chef de service de médecine interne à l’hôpital Saint-Joseph. «Le bénéfice était “palpable” au quotidien», assure-t-il.

Comment cette molécule agit-elle? Rappelons que les formes graves de Covid-19 sont apparemment provoquées par un emballement du système immunitaire, l’orage cytokinique. L’anakinra est une protéine recombinante qui vient empêcher le bon fonctionnement de certaines interleukines (les IL-1) en bloquant leurs récepteurs, ce qui permettrait d’interrompre la tempête en cours de formation. «C’est une molécule qui a eu une première vie au début des années 2000 pour soigner la polyarthrite rhumatoïde», rappelle Gilles Hayem, rhumatologue et auteur référent de l’étude française qui vient d’être publiée. «Elle présente un bon profil de sécurité, qui nous conduit à l’utiliser contre la goutte qui n’est pas une maladie mortelle.»

Efficacité à confirmer

Reste à confirmer son efficacité présumée contre le Covid. «Les chiffres présentés sont d’une certaine manière trop spectaculaires pour qu’il n’y ait pas de biais», assène Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université/Inserm). «Comme la série est trop petite pour les prendre en compte de façon pertinente, on ne peut finalement rien en dire. Une simple modification générale de la prise en charge et de la décision de passage en réanimation en cours de l’épidémie pourrait expliquer le résultat.» Entre autres problèmes, le risque que les comorbidités multiples puissent à elles seules expliquer l’effet observé. Par ailleurs, l’administration différente entre les deux groupes de co-traitement, notamment le cocktail hydroxychloroquine et azythromycine de Didier Raoult, vient encore un peu brouiller les chiffres bruts. «L’effet bénéfique persiste en prenant en compte ces différences», assure pour sa part Gilles Hayem.

Mais l’échantillon reste petit. Plusieurs essais étaient toutefois déjà en cours en France pour tenter d’évaluer le potentiel de la molécule. Un essai multicentrique, Anaconda, piloté par le CHU de Tours, pourrait apporter des éléments intéressants s’il parvient à inclure assez de patients, ce qui n’est pas gagné avec l’arrêt progressif de l’épidémie. L’anakinra constituait par ailleurs aussi l’un des bras de l’étude Corimuno de l’AP-HP, dont les résultats sont, eux, attendus prochainement.