Hommage à un historien des médecines orientales

C’est par notre ami René Misslin que nous avons appris la triste nouvelle du décès de Guy Mazars survenu le 24 octobre 2016 à Strasbourg.

Il a été l’un des fondateurs de la SFE et un proche collaborateur pendant une vingtaine d’années. La maladie l’a ensuite immobilisé et éloigné des activités que nous avons menées depuis.

Guy Mazars avait suivi des études scientifiques puis littéraires sur les civilisations et langues orientales à l’université de Strasbourg. Il a ensuite étudié l’histoire de la médecine et des sciences biologiques au Collège de France et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris. Sa thèse portait sur le pouvoir merveilleux dans le yoga.

Sa connaissance des langues était impressionnante ; il maîtrisait l’allemand, l’anglais, l’espagnol et l’italien : il pouvait les lire et les écrire. Parmi les langues orientales : le sanskrit, le hindi, le persan et le turc. Il lisait l’arabe et avait appris l’égyptien hiéroglyphique, le copte et le syriaque. Il déchiffrait aussi le chinois et le japonais.

C’est en 1980 que j’ai rencontré Guy lors d’un congrès d’ethnomédecine à Fribourg en Allemagne. Nous avons rapidement sympathisé et de suite avons formulé des projets de recherche associant les approches historiques et ethnopharmacologiques sur les plantes médicinales au travers des pharmacopées anciennes des médecines savantes.

On s’est retrouvés au congrès d’ethnomédecine d’Erlangen en Allemagne 2 ans plus tard et là nous avons élaboré l’ébauche d’un groupe de travail pluridisciplinaire associant les sciences de la vie (pharmacie, science, botanique, médecine,…) et les sciences de l’Homme (ethnologie, histoire, linguistique,…).

De retour dans nos labos respectifs, nous avons concrétisé notre intention en contactant un certain nombre de chercheurs dans des disciplines différentes susceptibles d’être intéressés par notre proposition. C’est ainsi que nous avons constitué un groupe de réflexion avec Bernard Weniger (Pharmacognoste, Strasbourg), José Dos Santos (Anthropologue, Cévennes), Guy Balansard (Pharmacognoste, Marseille), François Mortier (Pharmacognoste, Nancy), René Misslin (Sciences comportementales, Strasbourg), Michel Paris (Pharmacognoste, Paris), Jean-Pierre Muyard (Psychopharmacologue, Lyon), Jean-François Clément (Anthropologue, Nancy), Pierre Cabalion (Pharmacognoste, Strasbourg) et d’autres encore et Judith Jeanmaire pour l’organisation générale. Et c’est suite à cela que la Société Française d’Ethnopharmacologie a vu le jour à Metz en octobre 1986.

Parallèlement Guy créa en 1984 et présida la Société des Etudes Ayurvédiques dont l’objectif était de favoriser l’étude historique et scientifique des médecines de l’Inde. Cette association a développé une newsletter en anglais sur l’ayurvéda dès 1987.

En juin 1987, la SFE publia le premier numéro de la revue Ethnopharmacologia à laquelle Guy a beaucoup collaboré. C’est cette même année qu’il créa, en pionnier, le « système d’information » sur l’ayurvéda Ayurbase, qui consistait à synthétiser l’extraordinaire abondance de remèdes utilisés par cette médecine ancestrale ainsi que de textes en sanskrit, sans cesse remaniés et abondés par les rédacteurs successifs, à un point tel que cela faisait obstacle à la recherche. Le projet prit la forme d’une banque de données informatisée.

En 1990, la SFE organisa le 1er Congrès Européen d’Ethnopharmacologie à Metz et à cette occasion, nous avons élargi notre groupe de travail aux collègues européens avec Ekkehard Schröder (Allemagne), Antonio Guerci (Italie), Armin Prinz (Autriche), Peter Babulka (Hongrie) et créé la Société Européenne d’Ethnopharmacologie (SEE) dont Guy sera président en 1993, succédant à Ekkehard Schröder. Pierrette Altide intègrera la SFE en janvier 1991.

La SEE prit l’organisation des congrès en main : le 2ème Congrès Européen d’Ethnopharmacologie se déroula à Heidelberg en 1993 en collaboration avec l’AGEM (association allemande d’anthropologie médicale/ethnomédecine), puis le 3ème à Genova en Italie en 1996, le 4ème à Metz en 2000, le 5ème à Valencia en Espagne en 2003 et enfin le 6ème à Leipzig en Allemagne en 2007 en collaboration également avec l’AGEM.

Nous avons beaucoup travaillé ensemble, c’était un homme très érudit, particulièrement dans les médecines orientales, jamais contredit dans ses propos ou ses conférences. On a passé des moments extraordinairement riches et très conviviaux avec nos amis de l’ethnopharmacologie.

On a collaboré et publié sur le cheminement de la connaissance des plantes médicinales recensées au Yémen, en Afghanistan et au Maroc (voir les publications dans Journal of Ethnopharmacology) en recherchant si ces plantes étaient déjà mentionnées dans les pharmacopées grecque, arabo-persane et ayurvédique. Nous étions dans le comité éditorial de l’Encyclopédie des Médecines Naturelles dans laquelle il a publié plusieurs articles sur les médecines orientales (Inde antique, Perse antique, Ayurvédique, Tibet).

Il a également présidé le comité de pilotage du projet Européen pour l’étude, le développement et la règlementation des médecines alternatives et complémentaires dans les années 2000, idées avant-gardistes d’une grande actualité.

Guy était aussi un membre très apprécié de la rédaction de la revue allemande « Curare » dans laquelle il a publié des contributions sur l’Ayurvéda et a préparé les traductions en français des résumés des articles.

Depuis 2006, il dirigeait, aux éditions Springer, la collection «Médecines d’Asie» qui comporte des ouvrages d’auteurs tels que Paul Unschuld ou Eric Marié.

Il a également publié plusieurs livres : « Les Médecines de l’Asie » en 1978 (traduit en espagnol, italien et japonais), le Que sais-je sur « La Médecine indienne » en 1995 (traduit en anglais et en roumain) et le chapitre sur « L’Alchimie indienne » dans l’ouvrage « L’Alchimie des philosophes » illustré par Dali en 1977.

Jacques Fleurentin