Avec acharnement, enthousiasme et passion jusqu’à son dernier jour le 20 juillet 2013, Pierre Fabre, pharmacien hors du commun, humaniste convaincu, aura œuvré pour le développement et l’indépendance de ses Laboratoires. «Une entreprise exceptionnelle fondée par un homme exceptionnel… » soulignait le Président François Hollande lors de l’inauguration officielle d’une nouvelle usine de produits dermo-cosmétiques à Soual dans le Tarn le 30 mai dernier.
Passionné de botanique, de phytothérapie et animé d’une volonté exemplaire, Pierre Fabre a constitué en une cinquantaine d’années un laboratoire pharmaceutique et cosmétique de dimension internationale, fort de 10 000 collaborateurs. Le Groupe est maintenant présent dans une quarantaine de pays répartis sur les 5 continents et ses produits sont distribués dans plus de 130 pays.
Monsieur Fabre a su conjuguer développement à l’international et ancrage régional, recherche innovante, respect de la biodiversité et fidélité à son éthique de pharmacien. Les activités du Groupe couvrent les domaines du médicament, des produits de santé familiale et de la dermo-cosmétique.
Ce qui caractérisait le plus Monsieur Fabre était sa passion pour les plantes, son infatigable ténacité d’entreprendre, son humanisme, un attachement viscéral à son Tarn natal et une très grande discrétion.
En 1952, il acquiert une officine à Castres, après des études de pharmacie effectuées à Toulouse. Dans son arrière boutique, il va concocter à partir de rhizomes de petit houx (Ruscus aculeatus L., une Asparagacée) le premier médicament destiné à traiter l’insuffisance veineuse, le Cyclo-3®. En effet, il est soucieux du bien-être de ses patients, pour beaucoup des ouvrières de l’industrie textile locale qui travaillent dans des conditions difficiles, le plus souvent debout. La plante est connue depuis l’antiquité pour son action sur la sphère urinaire mais l’indication veinotonique restait à découvrir. Il en complète l’étude par des travaux à la Faculté de Pharmacie de Toulouse les jours de fermeture de sa pharmacie. Commercialisées à partir de 1961, les ampoules buvables de Ruscus vont bientôt faire des miracles sur les jambes lourdes. Par ce geste thérapeutique, il fait réaliser au corps médical que l’insuffisance veineuse est une pathologie largement ignorée méritant d’être considérée.
En 1982, il lance un médicament majeur de l’hypertrophie bénigne de la prostate à base d’extrait lipidique de drupes du palmier-scie de Floride (Serenoa repens, Arecacée). La drupe est déjà réputée en Floride par la médecine traditionnelle pour cette indication mais les travaux réalisés à la fin des années 1970 par la recherche phytochimique du Groupe permettent d’accéder à un extrait d’efficacité accrue.
Pierre Fabre gardera toute sa vie cette passion pour la botanique et la phytothérapie. D’ailleurs à ce jour, plus de 40% du chiffre d’affaires du Groupe s’appuie sur des produits dont l’actif est d’origine végétale. En 1994, il crée l’Institut Klorane®, une Fondation d’entreprise tournée principalement vers les enfants afin de les sensibiliser à la protection et à la valorisation du patrimoine végétal. L’objectif est de faire bénéficier le grand public de toute la connaissance accumulée par le Groupe dans les domaines de la botanique et de la phytochimie.
Il aimait particulièrement les arbres, et se réjouissait d’avoir réussi à maintenir en majesté un cèdre séculaire jouxtant la salle de réunion principale où se trouvaient ses bureaux. Il était très fier de ses pins laricio, de ses pelouses impeccables, de la belle allée de chênes majestueux conduisant au domaine. En 2001, il avait décidé la création d’un magnifique Conservatoire Botanique à côté de Castres, lieu dédié à la conservation, l’expertise, la pédagogie et la recherche sur les végétaux.
Volonté infatigable d’entreprendre et intuition sont d’autres caractéristiques de ce grand chef d’entreprise. Il consultait les spécialistes mais préférait suivre son intuition ancrée dans le terroir local et le bon sens des gens de la terre.
Intuition quand en 1965, il acquiert la marque Klorane pour valoriser les fabuleuses ressources du monde végétal et diversifier ainsi ses activités. Médicament éthique, médication familiale et dermo-cosmétique deviendront ainsi les piliers du Groupe. Qui pouvait imaginer il y a presque cinquante ans l’intérêt pour un laboratoire pharmaceutique de ne pas mettre « tous ses œufs dans le même panier » ?
Vision et humanisme quand il crée dès 1968 son propre centre de recherche afin d’accélérer le développement du Groupe tout en ancrant l’emploi dans le bassin de Castres où se succèdent les fermetures d’usines de laine qui avaient fait la notoriété de la ville. En 1970, c’est la création de la première filiale en Espagne, première étape du développement international du Groupe.
Il reprend en 1975 une petite station thermale désaffectée à Avène-les-Bains, village héraultais niché dans la vallée de l’Orb. De l’eau d’Avène, dont il pressent les exceptionnelles vertus dermatologiques, il fait une marque internationalement reconnue.
Pari osé mais gagnant quand en 1980, il se lance dans l’oncologie avec le développement de la Navelbine®, une molécule anticancéreuse découverte par son ami le professeur Pierre Potier du CNRS, un autre pharmacien d’exception qui partage avec Pierre Fabre des ascendances dans le Sud-Ouest. Tous les «grands» laboratoires français de l’époque approchés par Pierre Potier avaient décliné la proposition. Contre toute attente, Monsieur Fabre se lance dans l’aventure, alors que son Groupe dépourvu de compétence en oncologie n’est encore qu’un modeste acteur européen. Les rencontres entre les deux hommes constituaient des moments d’anthologie car autant Pierre Potier était volubile, autant son interlocuteur était réservé.
Insatiable entrepreneur, Pierre Fabre engage très tôt l’entreprise dans la maîtrise de la chaîne de production agronomique afin d’assurer la traçabilité, de la graine au lot de produit fini. L’Agrotechnie des années 1970 devient Phytofilière® dans les années 1990 puis «Botanical Expertise Pierre Fabre» en 2012, démarche labellisé EFQM pour le développement responsable d’actifs végétaux innovants, sûrs et efficaces.
Viscéralement attaché à Castres, Monsieur Fabre n’a de cesse de développer l’emploi dans le Tarn et Midi-Pyrénées. Il y créera localement plus de 4 000 emplois répartis sur de nombreux sites, donnant à l’aménagement en région tout son sens. Alors que la logique industrielle suggère de regrouper sur quelques grands sites l’ensemble des activités, ce maillage volontaire a pour but de préserver l’emploi de proximité en Midi-Pyrénées.
Toute sa vie, il a soutenu un grand nombre d’associations et d’activités locales, particulièrement dans le domaine sportif. Le 1er juin 2013, la victoire en Championnat de France du Castres Olympique, club qu’il avait repris en 1989, donna de la fierté à tous ses collaborateurs et aux habitants de la région. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir à l’aube de sa vie, lui qui avait toujours recherché à dynamiser, valoriser et faire rayonner son territoire.
L’attachement humaniste à son métier de Pharmacien s’exprime avec altruisme envers les populations déshéritées des pays du Sud. En 1999, il crée la Fondation éponyme reconnue d’utilité publique qui œuvre en faveur des pays les moins avancés pour améliorer l’accès aux médicaments et aux soins de qualité. Il s’est battu pour que la loi permette à une société d’être détenue majoritairement par une fondation d’utilité publique. En 2008, il fait don à la Fondation Pierre Fabre de la majorité du capital du Groupe Pierre Fabre pour sécuriser l’avenir, l’identité et l’indépendance de l’entreprise dans la pluralité de ses métiers et sa fidélité au territoire régional et national. Espérons que cet exemple sera suivi par de nombreux chefs d’entreprise humanistes ! L’actualité économique récente montre à quel point sa démarche fut audacieuse et efficace pour protéger l’emploi d’exigences financières spéculatives !
A partir de 2005, il ouvre généreusement le capital du Groupe aux salariés qui en détiennent aujourd’hui 7%. C’est également dans le même esprit que s’inscrit l’implantation d’un nouveau site de recherche et développement à Toulouse sur le lieu dévasté par l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001. A la désolation a succédé ainsi le campus de l’Oncopole, rassemblement de toutes les forces vives, publiques et privées, qui se consacrent à la lutte contre le cancer.
En dépit de sa réussite industrielle éclatante, Monsieur Fabre était resté modeste, fuyait les assemblées, encore plus les médias et les caméras. Il n’aimait pas «se montrer» et n’en avait nullement besoin. Il se définissait «d’origine rurale» et gardait comme les gens de la terre une très grande discrétion et humilité sur son succès. Malgré cette modestie, son aura et son autorité naturelle ne laissaient planer aucun doute sur sa position de «Patron» comme nous l’appelions affectueusement dans l’entreprise.
Sa disparition laisse un grand vide dans un Groupe qu’il considérait toujours comme son équipe officinale. Jusqu’aux derniers jours, il se tenait informé dans les moindres détails des projets et des réalisations. Avec générosité et minutie, il a su mettre en place une gouvernance originale autour de la Fondation Pierre Fabre pour que «sa maison» lui survive dans le respect des valeurs qui l’ont toujours animé.
Merci à vous, Monsieur. Depuis votre départ l’ensemble de vos collaborateurs réalisent avec reconnaissance encore davantage ce qu’ils vous doivent !
Bruno DAVID, Institut de Recherche Pierre Fabre, Toulouse
Cet été, nous avons appris avec tristesse le décès de monsieur Pierre Fabre survenu le 20 juillet 2013. Monsieur Fabre, pour lequel nous avions une grande estime, a su construire en un demi-siècle un groupe pharmaceutique des plus important de France avec une exigence de qualité reconnue de tous. Il a aussi soutenu des projets aussi bien éducatifs, universitaires qu’humanitaires au travers des instituts et fondations qu’il a créés. Il a peut-être aussi contribué à la création d’un modèle économique original alliant une structure capitaliste adossée à une fondation. L’environnement et la santé comptaient parmi ses principales préoccupations car il a beaucoup oeuvré avec ses collaborateurs dans ce domaine : il a été un précurseur. Nous avons été également impressionnés par la qualité architecturale et environnementale de certains bâtiments abritant des laboratoires du groupe. La Société Française d’Ethnopharmacologie a bénéficie pendant longtemps du soutien de Monsieur Pierre Fabre et de ses collaborateurs, principalement pour notre revue scientifique Ethnopharmacologia.