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1. Richard Evans Schultes, un pionnier de l’ethnopharmacologie

par Bernard Weniger
06 mai 2020

La recherche de nouveaux médicaments et de nouvelles substances thérapeutiquement actives est une constante dans la lutte que mène l’homme pour conserver ou retrouver sa santé. En Europe, la période historique des grandes découvertes, qui s’étend du début du XVᵉ siècle jusqu’au milieu du XVIIᵉ siècle, verra les Européens se livrer à l’exploration intensive de la Terre, en établissant des contacts directs avec l’Afrique, l’Amérique, l’Asie et l’Océanie. De nombreux navigateurs, explorateurs et botanistes de cette époque furent également des bioprospecteurs, qui contribuèrent par leurs activités à faire connaître en Europe de nouveaux aliments et de nouvelles drogues médicinales, utilisées traditionnellement dans leur région d’origine.

Mais l’ethnopharmacologie, en tant que concept et méthodologie, ne verra vraiment le jour qu’au début des années 1960, à une époque où les drogues psychoactives étaient au centre de l’attention du monde médical. La recherche ethnopharmacologique se définira alors comme une approche transdisciplinaire, associant la recherche sur le terrain à l’étude de l’activité biologique des plantes ou remèdes et à une compréhension détaillée des bases socioculturelles de leur utilisation.

Parmi les personnalités qui ont marquée les débuts de l’ethnopharmacologie, Richard E. Schultes occupe sans conteste une place privilégiée. Assistant au Musée Botanique de Harvard à Cambridge (Massachusetts), il consacra son travail de thèse à l’identification botanique du teonanácatl et de l’ololiuqui, deux plantes hallucinogènes mexicaines. En 1940, après l’introduction de la tubocurarine en clinique comme relaxant musculaire aux USA, il commença son itinéraire en Amazonie colombienne, à la recherche de sources naturelles de curares, utilisés localement comme poison de flèche. Lors de son périple, il identifia 70 espèces végétales amazoniennes pouvant servir à la préparation de curares. Après l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, il se consacra à la recherche d’espèces sauvages d’hévéas résistantes aux maladies, afin de libérer les États-Unis de leur dépendance vis-à-vis des plantations d’hévéas d’Asie du Sud-Est, devenues inaccessibles en raison de l’occupation japonaise.

La paix revenue, il passera encore une douzaine d’années à poursuivre son travail de terrain parmi une vingtaine d’ethnies dans le Nord-Ouest du bassin amazonien avant son retour à l’université de Harvard. Il recompilera ainsi les usages de plus de 2000 plantes utilisées par les chamanes de la région et collectera près de 30.000 exemplaires d’herbiers, en identifiant plus de 300 nouvelles espèces pour la science. Il fut notamment le premier à étudier l’ayahuasca, une boisson hallucinogène préparée à partir de l’espèce Banisteriopsis caapi (Malpighiacées) en association avec d’autres plantes, qu’il identifiera comme étant Psychotria viridis (Rubiacées) et Diplopterys cabrerana (Malpighiacées), deux espèces riches en N,N-diméthyltryptamine (DMT), un alcaloïde aux propriétés psychotropes.

Richard Schultes est l’auteur de très nombreux articles scientifiques et d’une dizaine de livres, parmi lesquels on trouve, en traduction française, l’ouvrage « Les plantes des Dieux: les plantes hallucinogènes. Botanique et ethnologie », écrit en collaboration avec Albert Hofmann, l’inventeur du LSD.

Il est l’un des personnages principaux du film colombien de Ciro Guerra, « El abrazo de la serpiente, qui fut acclamé par la critique à sa sortie en 2015. Le film, qui s’appuie sur ses journaux intimes et sur les récits d’un ancien explorateur amazonien, le scientifique allemand Theodor Koch-Grünberg, dépeint de manière romancée la recherche d’une plante mystérieuse à travers la jungle amazonienne.

Il est également au centre du film documentaire « El sendero de la anaconda », le chemin de l’anaconda, dans lequel Wade Davis, célèbre écrivain et anthropologue canadien, suit les traces de son ancien professeur, au sein des communautés autochtones de la rivière Apaporis en Amazonie colombienne. Ce film, du réalisateur colombien Alessandro Angulo, a obtenu à sa sortie en 2019 le prix Théodore Monod du festival international Cinématerre à Metz, un festival dédié aux films traitant de la transition écologique et des relations entre les sociétés humaines et la nature, organisé annuellement par l’Institut Européen d’Ecologie.

Durant les années passées en forêt tropicale, Schultes a réalisé des centaines de photographies dans lesquelles il a su capturer avec talent les traits marquants de ses interlocuteurs et leur environnement naturel et culturel. Vivant au milieu des communautés autochtones, il les considérait avec respect et humilité. Il a été l’un des premiers à mettre en évidence la menace croissante qui pèse sur l’éco-culture de l’Amazonie. Dès le début des années 1990, il avait tiré le signal d’alarme en déclarant : “Nous menons une véritable course contre le temps, car les peuples amérindiens et leurs savoirs disparaissent encore plus vite que les plantes ne disparaissent”.